L’abolition de l’esclavage dans les territoires français d’Outre-Mer.

 

C'est grâce au soulèvement des esclaves aux Antilles et à l'action de la révolution française que le 4 février 1794 fut décrétée pour la première fois en Europe l'abolition de l'esclavage au nom de l'universalité du principe de la liberté. Mais le rétablissement de l'esclavage par Napoléon 1er a réintroduit dans les colonies une barbarie vaincue uniquement en Haïti par l'épopée victorieuse des esclaves révoltés. Il aura fallu attendra la révolution de février 1848 pour que le combat des abolitionnistes conduit par Victor Schoelcher aboutisse au Décret d'abolition définitive de l'esclavage.

La deuxième abolition de l'esclavage revêt un caractère de soudaineté comme la révolution de 1848 qui l'a amené. Les idées émancipatrices ont évolué parallèlement aux idées républicaines, et l'abolition est liée au succès politique des républicains. Cependant, c'est la tendance réformiste, soucieuse du maintien de l'ordre, qui domine parmi ces républicains. Si le principe de l'abolition est acquis, les modalités juridiques en sont confiées au futur gouvernement définitif. Cette politique attentiste est remise en cause par l'arrivée à Paris de Schoelcher, de retour du Sénégal, où il venait de faire une étude sur la condition des captifs.

Le 3 mars, Schoelcher, convoqué par Arago, convainc ce dernier de l'urgence de l'émancipation immédiate, et dès le lendemain est inauguré juridiquement le processus abolitionniste métropolitain qui comporte trois phases : le décret préparatoire, les travaux de la commission et les décrets d'abolition du 27 avril 1848.

Au cours de ses travaux, la commission soucieuse de très larges consultations, reçoit les avis et doléances de groupes divers : des colons de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion, des représentants des chambres de commerce des ports, des spécialistes du problème sucrier, des députations de noirs et métisses. Les décrets non seulement mettent un terme à l'esclavage, mais aussi jettent les bases d'organisation et de fonctionnement de la nouvelle société libre, dans le but de garantir et de consolider cette liberté. 

Le premier décret abolit l'esclavage en se référant à des principes de droit naturel, le respect de la raison et de la liberté primordiale de l'homme, principes fortement mis en relief par les philosophes du XVIIIe siècle, et principes initiateurs des idéaux de la république érigés en dogmes : liberté, égalité, fraternité. L'émancipation est générale, elle concerne tous les territoires français ; cependant elle n'est pas immédiate : elle devra être appliquée deux mois après la proclamation du décret dans la colonie concernée. Les colonies seront représentées à l'Assemblée Nationale ; tous les affranchis obtiennent avec la liberté le droit de citoyenneté française et le droit de vote. Le conseil colonial bastion de l'oligarchie esclavagiste est supprimé. Les colonies seront ainsi "purifiées de la servitude". 

Le problème de l'indemnité à accorder aux colons est dissocié de l'émancipation, et confié aux futures délibérations de l'Assemblée Constituante. Et le décret sur le régime hypothécaire et l'expropriation forcée doit mettre fin aux anciens privilèges que les habitants avaient sur leurs créanciers et prévoit ainsi une libération de la terre, qui doit se faire parallèlement à celle des esclaves. 

Un décret concerne l'assistance aux affranchis vieillards, infirmes et orphelins abandonnés ; la formation professionnelle de ces derniers est prévue et le sens de l'entraide et de la solidarité au niveau des travailleurs de l'habitation et sollicité en attendant la création des structures adéquates. Un certain nombre de décrets traitent de l'important problème de l'organisation du travail. Des ateliers nationaux de travail sont prévus. Contrairement aux sollicitations des colons exprimées dans l'adresse du conseil colonial au roi en 1847, le système de l'association forcée est écarté. Le travail devra être libre. Les affranchis devront abandonner les cases et jardins " à moins de convention contraire" avec les anciens maîtres. La mendicité et le vagabondage seront réprimés. Les conflits de travail entre propriétaires et travailleurs seront réglés par des jurys cantonaux présidés par les juges de paix du canton et composés pour moitié d'employeurs et d'employés. L'exhortation au travail sera stimulée par l'instauration de fêtes du travail, associées à un système de récompenses et de promotion sociale. D'autres décrets établissent des Caisses d'épargne pour les affranchis et des impôts : un impôt personnel équivalent à trois journées de travail, et un sur la consommation, le commerce et la fabrication des rhums et alcools divers. L'instruction des nouveaux affranchis est envisagée comme facteur d'épanouissement moral, sur les bases de la gratuité et de l'obligation de l'enseignement élémentaire ; cet enseignement devra mettre en relief l'importance des travaux agricoles. 

Ainsi, cette nouvelle architecture de la société coloniale mise en place lors des travaux de la commission et exprimée dans les décrets du 27 avril 1848, profile un projet de société très moderne, fondé sur une véritable régénération matérielle et morale. Une oeuvre considérable née de l'application d'idéaux de justice, dans la trajectoire de la révolution républicaine, née aussi du souci d'équilibre entre la liberté et l'ordre, et du désir d'ouvrir largement les zones libérées à l'assimilation avec la métropole. Une oeuvre révolutionnaire et généreuse, dont l'application totale sera très difficile à réaliser, compte tenu des réalités du fait colonial. 

Deux membres de la commission, Gatine et Perrinon sont chargés, comme commissaires généraux, de procéder à la promulgation du décret à la Guadeloupe et à la Martinique, et à l'organisation de la restructuration qui sous-tend l'application du décret. Avant leur arrivée dans ces deux îles, les révoltes d'esclaves forceront les gouverneurs locaux à prononcer officiellement l'émancipation : le 22 mai à la Martinique, le 27 mai à la Guadeloupe, le 10 juin en Guyane, avant l'arrivée des Commissaires de la République. L'abolition définitive à la Réunion sera promulguée le 20 décembre 1848, mettant fin à l'esclavage sur l'ensemble du territoire. La révolte des esclaves des colonies a provoqué non seulement une anticipation de l'abolition, mais aussi la suppression du délai de deux mois prévu par la législation du 27 avril entre la promulgation et l'émancipation effective. 

Source bibliographique : Josette FALLOPE "Esclaves et Citoyens" (Sociétés d'Histoire de la Guadeloupe - Basse Terre 1992). 

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